10/04/2017

Dans le ventre (du portefeuille) de l'hôpital


Hier soir était diffusé "Burning Out", un documentaire tourné pendant un an "dans le ventre de l'hôpital", en voici l'alléchant pitch:

Durant plusieurs mois, Jérôme Le Maire a filmé le quotidien de l'unité chirurgicale de l'hôpital Saint-Louis, à Paris. 250 salariés, 14 salles d'opération, 60 à 80 interventions par jour... Entre rythme de travail effréné, obligation de résultats, manque de moyen, stress et pression, le personnel soignant est au bord de l'épuisement. Immersion au cœur d'un " monde désenchanté".

Déjà je tique, ne serait-ce que sur la formulation: dans le milieu médical, nous avons une obligation de moyens, pas de résultat, c’est-à-dire que nous avons l’obligation de tout mettre en œuvre pour soigner, aider, voire sauver, mais qu’on ne peut pas nous reprocher de ne pas réussir si nous avons fait et bien fait tout ce que nous avons pu.
Une obligation de résultats, c’est pour une entreprise qui vend des produits, des services, dont on demande aux commerciaux de remplir des quotas pour être payés en conséquence par exemple.
Bon, là tu te dis « Michelle, tu cherches la petite bête ! », je me le dis aussi. J’étais quand même impatiente de voir le reportage (en croisant les doigts très fort pour que le pitch ne me mette pas Mylène Farmer dans la tête parce que ÇA ce serait vraiment dur à vivre).

Et donc, toute « fraîche » rentrée de mes 12 heures de boulot (trajet de 1h15 non inclus), je me pose, pleine d’espoir, devant Arte.

Désillusion en 4 étapes :

-       Je n’ai pour ainsi dire pas vu (en tout cas certainement pas entendu) d’infirmier ni d’aide-soignant, brancardier, ASH… Sauf une fois une infirmière de bloc qui se fait secouer par un chirurgien qui l’assomme du très classique « C’est quand même moi le médecin ici! ». Je me dis qu’on va embrayer sur ces tensions, ces incivilités, ces violences parfois dont le bloc et le reste des services sont le triste théâtre. Apparemment non.

-       Les administratifs se réunissent pour se dire « mince alors on dirait qu’il y a des tensions, qu’est-ce qu’on pourrait bien faire pour calmer les gens améliorer la « qualité de vie au travail » ? Faisons un audit de 6 mois ! ». Les gens sont momentanément calmés attendent beaucoup de cet audit. Réunion 6 mois plus tard, un mec en costume cravate avec un ordinateur qui coûte deux mois de salaire d’infirmière dit : « OK les gars vous êtes pas mal niveau rentabilité mais on peut faire mieux ! Ouvrez plus de salles d’opération, sur des plages horaires plus larges et vous serez riches ! ». La réunion est terminée, merci au revoir. Pas un mot sur l’humain, pas un mot sur le personnel (qui du coup devra supporter plus de salles, plus d’horaires, sans ajout de poste !). Côté blouses blanches, c’est la déroute, on nous avait promis qu’on ferait des knakis de parler des conditions de travail. Je serais curieuse de savoir combien il a coûté cet audit, un audit pour qui pour quoi ?

-       Tiens, une seule fois un médecin réanimateur (l’atout charme et émotion du reportage, qui a l’air sincèrement humaine et proche de ses collègues) mentionne les petites mains de l’hôpital : « On n’a même pas parlé de tous les corps de métier, infirmiers, AS, ASH, tous ceux qui font vivre l’hôpital ». Oui, c’est vrai. On n’en a pas parlé. En fait on n’en parlera pas.

-       Salle d’op. Patient les tripes à l’air, on demande à l’équipe de chirurgiens s’ils ont une idée de pourquoi c’était mieux avant. L’un répond : « Autrefois, le médecin était le roi » (visage nostalgique). Et donc ? C’est parce que ce n’est plus le cas que l’hôpital va mal ?

-       Conclusion : les chirurgiens et les anesthésistes réanimateurs vont mal (du coup certains crient sur les infirmières mais c’est pas trop de leur faute), donnons au petit personnel des trucs à faire pour s’occuper l’esprit et leur donner l’impression qu’on écoute ce qu’ils ont à dire (ersatz d’audit, boîte à idée qui enthousiasme tout le monde mais qui finit à la poubelle, déjà là un an est passé donc tu vois, quand on veut gagner du temps on peut !), filmons tout ça avec des regards tristes et des images furtives d’opérations comme ça les téléspectateurs vont kiffer, et HOP HOP HOP tu crois qu’on va rentrer dans le vif du sujet et en fait le générique de fin est lancé. J’en étais comme deux ronds de flan. Comment ça, c’est fini ? On n’a rien dit, rien vu, rien fait avancer ! Un coup pour rien.


-       Conclusion bis : voyez plutôt « Dans les yeux d’Olivier », un formidable reportage tourné l’année dernière qui suit vraiment des soignants dans leur quotidien, qui parle vrai et qui fait du bien, un reportage qu’il est bien de le regarder, avec de vrais morceaux d’infirmière dedans <3 span="">

Illustration de l'excellent Boulet Corp