On a beau être déterminé, motivé, et décidé à se donner les moyens de réussir, on n'en est pas moins humain. On n'en est pas moins parent. On n'en est pas moins fatigué...
Et puis on a des moments de découragement intense. Total. Violent. Profond...
Parfois on ne s'imagine pas continuer. Parfois on ne s'imagine pas abandonner.
Justement parce que l'abandon n'est pas une option.
Pourtant le système est tel qu'à certains moments, on se demande à quel instant on s'est perdu en route. Quand est-ce que j'ai commencé à être plus étudiante que maman? Qu'épouse? A quel moment suis-je devenue la mère qui a des scrupules à quitter un cours alors que son enfant est malade?
A quel moment suis-je devenue personnellement dépendante du jugement des professionnels?
Dans ma situation, on cumule les casquettes bizarroïdes. Je suis étudiante mais j'ai presque 30 ans (fuck me, ça pique rien que de l'écrire!). Je suis étudiante mais je suis mariée et mère de famille (générique de "Mariés 2 enfants" en fond sonore). Je suis étudiante en soins infirmiers, donc études prenantes, à horaires chelous et corvéable à merci sans frais supplémentaires sur le terrain. J'ai parfois l'impression de régresser et d'avoir 15 ans face à des professionnels en poste qui ont parfois 10 ans de moins que moi. J'assume tout ça. C'est lourd, mais j'assume. C'était mon choix. C'EST mon choix.
J'ai honte d'être tentée de tout lâcher parfois.
Parce qu'à côté de ça, il y a ces moments. Ces moments en stage où tu sens que tu es utile, que tu changes quelque chose, que ce que tu fais compte. Il y a des personnes à qui tu t'attaches un peu. Tu sais que tu ne dois pas le faire mais tu ne peux pas t'en empêcher. Il y a les soignants dont tu te dis que jamais au grand jamais tu ne seras comme eux. Il y a les soignants qui t'inspirent l'envie de leur ressembler.
Et puis il y a les patients. Drôles, attachants, pénibles, forts, colériques, tristes, courageux... Ceux qui ont besoin de tout mais ne demandent rien, et inversement.
Au bout d'un moment tu as l'impression de bien les connaître parce que tu sais que Mme Bidule prend un chocolat chaud avec des biscottes au petit déjeuner et que Mr Chose préfère être assis face à la fenêtre que face à sa télévision. Ils t'étonnent parfois comme Mme Machin qui est hémiplégique mais fait sa toilette sans aucune aide merci bien, il ne manquerait plus que ça.
Il y a ceux qui vont mieux. Tu es content qu'ils rentrent chez eux et triste de ne plus les voir.
Et il y a ceux qui déclinent, ce déclin contre lequel tu ne peux rien sauf mieux installer leur oreiller.
Et il y a ceux qui foncent dans un trou noir sans même avoir eu le temps de dire ouf. Tu as plaisanté avec Mr Truc le matin et l'après-midi tu apprends qu'il s'enfonce.
Quand tu rentres à la maison, t'as du mal à fermer la porte de l'hôpital.
Ce métier, il nous colle à la peau... Parfois je me dis que j'aurais dû choisir un boulot qui reste un boulot.
Mais alors, je n'aurais jamais rencontré ces soignants formidables. Ni ceux qui me montrent le chemin à ne pas suivre. Je n'aurais jamais rencontré Mme Machin, Mr Truc ou Mme Bidule. Et si je ne les revois jamais parce qu'ils sont rentrés chez eux ou partis très loin pour de bon, c'est la vie. Certains ont laissé une larme sur ma blouse, ils laissent chacun une trace sur ma route.
Alors je continue.