Hier soir était diffusé "Burning Out", un
documentaire tourné pendant un an "dans le ventre de l'hôpital", en
voici l'alléchant pitch:
Durant plusieurs mois,
Jérôme Le Maire a filmé le quotidien de l'unité chirurgicale de l'hôpital
Saint-Louis, à Paris. 250 salariés, 14 salles d'opération, 60 à 80
interventions par jour... Entre rythme de travail effréné, obligation de
résultats, manque de moyen, stress et pression, le personnel soignant est au
bord de l'épuisement. Immersion au cœur d'un " monde désenchanté".
Déjà je tique, ne serait-ce que sur la formulation: dans le milieu
médical, nous avons une obligation de moyens, pas de résultat, c’est-à-dire que
nous avons l’obligation de tout mettre en œuvre pour soigner, aider, voire
sauver, mais qu’on ne peut pas nous reprocher de ne pas réussir si nous avons
fait et bien fait tout ce que nous avons pu.
Une obligation de résultats, c’est pour une entreprise qui vend des
produits, des services, dont on demande aux commerciaux de remplir des quotas
pour être payés en conséquence par exemple.
Bon, là tu te dis « Michelle, tu cherches la petite
bête ! », je me le dis aussi. J’étais quand même impatiente de voir
le reportage (en croisant les doigts très fort pour que le pitch ne me mette pas Mylène Farmer dans la tête parce que ÇA ce
serait vraiment dur à vivre).
Et donc, toute « fraîche » rentrée de mes 12 heures de boulot
(trajet de 1h15 non inclus), je me pose, pleine d’espoir, devant Arte.
Désillusion en 4 étapes :
- Je n’ai
pour ainsi dire pas vu (en tout cas certainement pas entendu) d’infirmier ni
d’aide-soignant, brancardier, ASH… Sauf une fois une infirmière de bloc qui se
fait secouer par un chirurgien qui l’assomme du très classique « C’est
quand même moi le médecin ici! ». Je me dis qu’on va embrayer sur ces
tensions, ces incivilités, ces violences parfois dont le bloc et le reste des
services sont le triste théâtre. Apparemment non.
- Les administratifs se réunissent
pour se dire « mince alors on dirait qu’il y a des tensions, qu’est-ce
qu’on pourrait bien faire pour calmer les gens améliorer la
« qualité de vie au travail » ? Faisons un audit de 6 mois ! ».
Les gens sont momentanément calmés attendent beaucoup de cet audit.
Réunion 6 mois plus tard, un mec en costume cravate avec un ordinateur qui
coûte deux mois de salaire d’infirmière dit : « OK les gars vous êtes
pas mal niveau rentabilité mais on peut faire mieux ! Ouvrez plus de
salles d’opération, sur des plages horaires plus larges et vous serez
riches ! ». La réunion est terminée, merci au revoir. Pas un mot sur
l’humain, pas un mot sur le personnel (qui du coup devra supporter plus de
salles, plus d’horaires, sans ajout de poste !). Côté blouses blanches,
c’est la déroute, on nous avait promis qu’on ferait des knakis de parler
des conditions de travail. Je serais curieuse de savoir combien il a coûté cet
audit, un audit pour qui pour quoi ?
- Tiens, une seule fois un médecin
réanimateur (l’atout charme et émotion du reportage, qui a l’air sincèrement
humaine et proche de ses collègues) mentionne les petites mains de
l’hôpital : « On n’a même pas parlé de tous les corps de métier,
infirmiers, AS, ASH, tous ceux qui font vivre l’hôpital ». Oui, c’est
vrai. On n’en a pas parlé. En fait on n’en parlera pas.
- Salle d’op. Patient les tripes à
l’air, on demande à l’équipe de chirurgiens s’ils ont une idée de pourquoi
c’était mieux avant. L’un répond : « Autrefois, le médecin était le
roi » (visage nostalgique). Et donc ? C’est parce que ce n’est plus
le cas que l’hôpital va mal ?
- Conclusion : les chirurgiens et
les anesthésistes réanimateurs vont mal (du coup certains crient sur les
infirmières mais c’est pas trop de leur faute), donnons au petit personnel des
trucs à faire pour s’occuper l’esprit et leur donner l’impression qu’on écoute
ce qu’ils ont à dire (ersatz d’audit, boîte à idée qui enthousiasme tout le
monde mais qui finit à la poubelle, déjà là un an est passé donc tu vois, quand
on veut gagner du temps on peut !), filmons tout ça avec des regards
tristes et des images furtives d’opérations comme ça les téléspectateurs vont
kiffer, et HOP HOP HOP tu crois qu’on va rentrer dans le vif du sujet et en
fait le générique de fin est lancé. J’en étais comme deux ronds de flan.
Comment ça, c’est fini ? On n’a rien dit, rien vu, rien fait
avancer ! Un coup pour rien.
- Conclusion bis : voyez plutôt
« Dans les yeux d’Olivier », un formidable reportage tourné l’année
dernière qui suit vraiment des soignants dans leur quotidien, qui parle vrai et
qui fait du bien, un reportage qu’il est bien de le regarder, avec de vrais
morceaux d’infirmière dedans <3 span="">3>
Illustration de l'excellent Boulet Corp